Bien
qu'il soit encore en pleine période de mousson,
le mois de Bhadra (mi-août, mi-septembre) est
particulièrement riche en fêtes, spécialement
aux alentours de la pleine lune.
Le
lendemain même du Janai Purnima, décrit
à propos de Patan, se déroule
le
Gaï Jatra, la fête de la vache,

A
Katmandou et dans plusieurs autres villes et villages
de la vallée, notamment à Patan, Bhadgaon,
Kirtipur. Selon la légende, cette fête a
pour but d'aider les âmes des défunts à
entrer au royaume de Yama, dieu de la mort. Les portes
de celui-ci sont censées être fermées
à partir du mois de mai-juin (Jaistha) ; ceux qui
meurent après cette date ne peuvent entrer au Ciel.
Mais le jour du Gaï Jatra, les vaches forcent les
fameuses portes avec leurs cornes et les morts peuvent
enfin rejoindre Yama.
Tôt
dans la matinée, à Katmandou, la foule s'installe
sur les degrés des pagodes, pour voir passer "
les vaches ". Elle est particulièrement dense
sur le temple le plus proche de la maison de la Kumari.
Des grappes humaines semblent monter à l'assaut
du sanctuaire. Il y a là des femmes au sari éclatant,
mais aussi d'humbles porteurs en tenue isabelle qui sont
peut-être venus de fort loin.
Soudain,
une clameur ! Le premier cortège vient d'apparaître.
En fait, ces " vaches " sont surtout des enfants
déguisés, bien que quelques bovidés
en chair et en os précèdent parfois ou
suivent les cortèges, portant un manteau jaune,
ou une écharpe de même couleur autour du
cou.
Les
enfants qui participent au défilé appartiennent
à des familles qui ont perdu un de leurs membres
durant l'année précédente ; leur
nombre en dit long sur la mortalité népalaise
! Toutefois, chaque famille est représentée
par deux enfants qui symbolisent une paire de vaches.
Il
ne s'agit pas, en fait, d'un défilé continu,
du moins à Katmandou, mais de cortèges
séparés. Chacun comprend habituellement
cinq ou six enfants sur une même rangée,
suivis par un porteur de dais rond comme un parasol
et souvent orné de motifs anciens. Derrière
enfin, viennent les orchestres de jyapu, de paysans
: ils jouent d'un tambour à deux peaux, en forme
de cylindre, qu'ils portent en bandoulière, de
cymbales, de gongs et d'étranges trompes à
cinq becs qui ressemblent un peu à des cornemuses.
Tous ces instruments émettent des sons incroyablement
intenses et l'ensemble tint un peu du tintamarre.
Mais le grand charme de la fête de la vache ce
sont évidemment les enfants eux-mêmes.
Ces enfants que vous pouvez croiser dans les rues de
Katmandou, sinon sales et déguenillés,
du moins modestement vêtus à l'européenne,
les voici soudain transfigurés, habillés
comme des princes, drapés d'étoffés
neuves et chatoyantes, maquillés, coiffés
enfin d'un extraordinaire édifice de fleurs,
de paille et de papier.
Le
costume traditionnel est une longue jupe plissée
blanche, une ceinture à larges pans et une blouse,
blanche également, qui rappelle le costume d'apparat
des prêtres newars. Mais des coloris plus variés
font maintenant leur apparition : bleu roi, rouge géranium,
jaune d'or. L'ensemble est plus gai, s'il est moins conforme
au canon rituel.
Les
vaches portent des ceintures et des colliers de longues
herbes, sans doute pour rappeler leur nourriture. A première
vue, ce costume n'évoque guère l'animal
qu'il est censé symboliser. Mais la coiffure est
un peu plus évocatrice : un panier de vannerie
retourné sert de support à deux petites
cornes de paille et à deux chromos dont l'un, celui
de devant, porté comme un heaume, représente
une tête de vache :
une
vache assez inattendue qui a des boucles d'oreilles, des
fleurs sur la tête, un pendentif sur le front, des
yeux cernés d'orange et des cils de star comme
les animaux de Walt Disney ! Un chromo de Ganesh recouvre
la vannerie derrière la tête. Ces images
aux couleurs vives sont confectionnées par les
enfants ou bien achetées par eux, sur les marchés,
la veille de la fête.
La
vache émerge souvent d'un parterre de fleurs
rouges, jaunes ou blanches, d'un effet fort esthétique,
et enfin des cocardes et des fanions à bandes
rouges, jaunes et vertes couronnent ce majestueux édifice.
Un savant maquillage complète le tout : pointillé
soulignant les yeux, V sur le front, évoquant
le signe de Vishnou, rouge sur les joues et surtout
magnifiques moustaches à volutes. Évidemment,
tout le monde n'a pas les moyens de s'offrir la panoplie
complète
Certains, qui ne marchent pas encore, sont portés
par un père ou un grand frère ;
En
dehors de Katmandou, la fête de la vache prend des
aspects variés : à Patan, tôt le matin,
toutes les personnes ayant perdu un membre de leur famille
dans l'année se rendent sans distinction de race,
de caste, ni de religion, aux quatre points cardinaux
de la ville, là où se dressent les quatre
stupas dits d'Ashoka, et y chantent des hymnes aux morts.
Plus
tard, dans la journée, se déroule la procession
des vaches plus groupées qu'à Katmandou.
Parmi elles, on remarque des personnages qui représentent
le dieu Krishna et ses deux épouses : Radha et
Rukmini, comme lors de l'anniversaire du dieu.
A Cherikot, les effigies des parents morts dans l'année
participent à la procession à Dhankuta,
il n'y a que des vaches réelles et à Kirtipur,
près
de Katmandou, on jette dans un étang voisin deux
têtes de buffles qui représentent les deux
quartiers de la ville.
C'est à Bhadgaon que la fête de la vache
donne lieu au rite le plus étrange : une danse
des méchants garçons dont les corps sont
couverts de dessins érotiques !