LA
KUMARI, DÉESSE VIVANTE
Sur la place du Palais royal, à l'opposé
de la maison de Shiva et de Parvati, s'élève
un édifice qui est peut-être le plus bel
exemple du style newar à Katmandou : une maison
qui a une façade de palais, avec des fenêtres
dont les boiseries font la roue comme des paons. De magnifiques
tympans les surmontent et, au second étage, le
traditionnel triple balcon en encorbellement complète
cette façade dont les boiseries sombres contrastent
très heureusement avec des murs blancs. Un vestibule,
à piliers sculptés, s'ouvre sur une cour
intérieure qui a le calme d'un cloître, à
deux pas du cur actif de la capitale. La sobriété
du décor de boiseries, l'un des plus complets et
des plus beaux, de Katmandou, n'est pas faite pour déplaire
au goût occidental, parfois un peu lassé
des excès de couleurs d'autres monuments. Ici,
le bois sombre se détache sur un fond de brique
rouge. Tout semble être sous le signe de la trinité
: trois vestibules à trois arcades, sur trois côtés,
au rez-de-chaussée, et triples balcons, au premier
et au second étage. Toutes les fenêtres ont
de beaux tympans sculptés où Manjushri,
le héros légendaire divinisé, figure,
entouré de serpents et de monstres marins.
Mais ce palais n'a pas seulement un grand intérêt
artistique, c'est aussi la demeure de la Kumari, la déesse
vivante, qui y vit recluse et apparaît parfois à
son balcon. Kumari signifie " vierge " et ainsi,
la maison de la vierge fait pendant à celle du
couple, de l'autre côté de la place.
On raconte qu'au XVIIIe siècle, une fillette d'une
famille d'orfèvres prétendait qu'elle était
possédée par l'esprit de la déesse
Taleju Bhavani . Elle fut aussitôt chassée
de la capitale mais la reine, la nuit suivante se sentit
possédée par Taleju. Le roi inquiet fit
revenir l'enfant et institua un culte en son honneur.
Selon une autre version, le même roi avait l'habitude
de jouer aux dés avec la déesse qui lui
apparaissait sous une forme humaine. Un jour, il s'aperçut
de sa beauté et voulut la saisir dans ses bras,
oubliant son caractère divin. Taleju s'échappa
mais exigea, en compensation de cette offense qu'un culte
soit désormais institué en l'honneur de
la déesse vierge Kanya Kumari.
En fait, il existe aussi un livre sacré, le "
Kumari Tantra " qui est bien antérieur au
XVIII siècle et Kanya Kumari est un des multiples
noms de la Devi, la déesse. Depuis, la tradition
s'est maintenue et a même essaimé : il y
a plusieurs Kumari, une à Patan, une à Bhadgaon,
quatre à Katmandou, mais la plus vénérée
de toutes est la Kumari royale, celle qui habite ce palais.